Seize marques de la parfumerie-cosmétique viennent de s’engager à soutenir les verriers français haut de gamme, en revoyant leurs politiques d’achat. Elles leur demandent en contrepartie de gagner en compétitivité.

Pour le secteur de la parfumerie-cosmétique, traditionnellement discret sur les liens entre donneurs d’ordre et sous-traitants, c’est une première. Chanel, Clarins, Guerlain, Hermès, Kenzo Parfums, L’Oréal, Interparfums, Christian Dior, Givenchy, Sisley : seize marques viennent de s’engager début janvier, dans une déclaration commune, à soutenir la filière française du flaconnage haut de gamme.

Parmi leurs annonces : le respect strict des délais de paiement, mais aussi une amélioration de la gestion des stocks dits « non appelés ». C’est-à-dire initialement commandés en vue du lancement d’un parfum par exemple, mais encore non utilisés et donc non payés au fournisseur.

Dans le contexte de croissance continue du secteur, environ 4 % par an ces dernières années, ce système n’avait jamais réellement posé de difficultés. Mais avec le confinement et son corollaire la diminution de «15 à 20 % des ventes », selon Marc-Antoine Jamet, président du pôle de compétitivité Cosmetic Valley, ces stocks ont pesé – à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros – sur les comptes d’exploitation des verriers.

Stratégies d’achat

Ces derniers mois, leur accumulation dans les hangars de la vallée de la Bresles, cette frontière naturelle entre Picardie et Normandie où se concentre 70 % de la production mondiale de flacons de luxe, a suscité de vives inquiétudes de la part des syndicats et des élus locaux. « La clé de ce problème réside dans les objectifs fixés aux acheteurs, analyse pour sa part Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Industrie. Leur donner pour seul objectif le prix ou la préservation de la trésorerie aboutit à faire endosser le poids des stocks aux fournisseurs. Leur demander au contraire de considérer ces industriels comme des partenaires stratégiques, capables de répondre à de nouveaux défis capables de proposer des innovations qu’on ne trouve nulle part ailleurs, change totalement la relation qui devient créatrice de valeur », insiste la ministre déléguée.

Outre la gestion des stocks, les marques se sont engagées plus globalement, à « privilégier les acteurs français de la filière », au moins le temps que durera la crise… Car les maîtres jusqu’alors incontestés de la verrerie doivent faire face à des concurrents de plus en plus agressifs, allemands et italiens notamment, et surtout plus compétitifs. « On touche là au problème de compétitivité des verriers, qui doit être améliorée. Le flacon constitue un élément de différenciation déterminant auprès du consommateur », résume quant à lui Patrick O’Quin, président de la Febea, syndicat professionnel du secteur cosmétique.

Manque de compétitivité ?

En échange de leurs engagements, les donneurs d’ordre demandent aux verriers d’accélérer leurs investissements en matière d’amélioration énergétique, d’innovation ou de robotisation. De quoi susciter quelques réactions chez ces fournisseurs qui, en coulisses, estiment avoir déjà beaucoup investi pour atteindre les meilleurs standards de qualité. « Dans le cadre du plan de relance, l’Etat va accompagner ces industriels à aller encore plus loin. Pour la seule filière parfumerie-cosmétique, une vingtaine de dossiers ont été déposés et les verriers Pochet du Courval et Verescence, par exemple, ont déjà été retenus comme lauréats», ajoute Agnès Pannier-Runacher.

Au total, quelque 13 millions d’euros ont d’ores et déjà été débloqués pour les entreprises de la vallée de la Bresle. « Il est clair que nous avons pris du retard face à l’Allemagne en matière de robotisation. Personnellement, j’ai monté un dossier industrie 4.0 sur lequel je n’ai pas encore de retour des services de l’Etat ! J’ai prévu d’investir 1,5 million d’euros cette année », s’agace Valérie Tellier, présidente de La Glass Valley, le pôle du flaconnage de luxe, également dirigeante du groupe ValFi.

Guillaume Roussange